La grande nageuse
Cet été-là, nous nous retrouvâmes plusieurs fois sur la plage du Fort Neuf. Une femme se révèle le matin au réveil et à la sortie du bain. C'est là où on voit la vérité des os. Son corps long et droit se dépliait en dos crawlé quand elle partait nager seule au-delà des voiliers mouillés à l'ancre. Après une heure de natation, je la voyais sortir le corps ruisselant, fortifié par l'Atlantique, les jambes légèrement tremblantes, le visage enfin souriant. Elle s'étendait sur une serviette toujours de couleur noire ou ardoise. Elle lut cet été-là Cicéron, Des termes extrêmes des biens et des maux ; je revois très bien la couverture rouge du livre qui l'absorbait : c'était une lecture bien sérieuse pour la plage. Je profitais de ces moments pour crayonner dans mon carnet des croquis de ses jambes et de ses pieds.