«On leur céda une souricière dans l'allée des Étrangleurs,
l'ancien Paradiz, où Chaliapine avait chanté avant de partir
en exil. L'endroit grouillait de rats et toutes ses issues étaient
condamnées avant que la troupe des Comédiens Voyageurs
de Tiflis n'y débarque pour six semaines de représentation.
Leur régisseur, Boris Nikolaïevitch Touchkov, avait magouillé
avec les dirigeants géorgiens du Parti. Son unique triomphe, il
l'avait connu avec Le Roi Lear. Et voilà qu'à présent il amenait
Lear à Moscou.»
C'est une production plutôt risquée... Jouer une pièce ayant
pour sujet un vieux roi gâteux, veuf et père de Cordelia alors
que Staline approche de la soixantaine, que sa femme est
morte, qu'il a une fille jeune et qu'il est aussi secret que Lear,
n'est-ce pas très dangereux ? D'autant plus qu'embusqué dans
son bureau du Kremlin où est allumée en permanence une
lanterne verte Staline contrôle tout, surveille les moindres
faits et gestes de ses «sujets», et en particulier des artistes,
tous colporteurs d'idées vite jugées subversives...