« Ne pas croire à la magie n’est point une raison de la dédaigner. Elle a tenu, dans la constitution des sociétés primitives et dans le développement même de l’esprit humain, une place dont tous à peu près sont d’accord et que d’aucuns seraient plutôt portés à surfaire qu’à ravaler. Dans ce livre, résumé d’une année d’enseignement védique à la Sorbonne (1901-1902), je ne pouvais prétendre apporter à la sociologie que le résultat de l’une des enquêtes partielles sur lesquelles elle fondera ses conclusions futures ; et aussi me suis-je interdit toute digression que mon titre ne justifiât. Peut-être me sera-t-il permis d’en dépasser quelque peu les limites en avant-propos, ne fût-ce qu’à dessein de les mieux préciser, de montrer, veux-je dire, par combien de points elles confinent à la mentalité de notre race, par combien peu à celle du sauvage-type, récent produit d’une généralisation séduisante et périlleuse.
Le XIXe siècle, incomparablement plus qu’aucun de ses devanciers, aura bien mérité de l’histoire : de celle des faits, par l’exhumation des civilisations disparues ; de celle des idées et des institutions, par l’avènement tardif du sens historique, dont la philosophie du XVIIIe est encore si extraordinairement à court. Et les deux progrès, sans aucun doute, sont connexes : si l’on a compris qu’un état mental ou social est nécessairement conditionné par l’état mental ou social qui l’a précédé, celui-ci par son antécédent, et ainsi en remontant toujours jusqu’à la barbarie la plus lointaine qu’il nous soit donné d’atteindre ; que dès lors rien n’est indifférent du passé de l’humanité à qui tente de s’expliquer son présent et d’augurer de son avenir ; si, en un mot, l’on voit poindre à l’horizon l’espoir d’une sociologie rationnelle et scientifique, que l’antiquité n’a jamais pu concevoir, on le doit, en grande partie, à ce recul qui lui a manqué, aux documents de toute sorte qu’elle nous a légués d’elle-même, et surtout à ceux que nous avons arrachés à la profondeur de ses tombes. »
Fruit d’une sélection réalisée au sein des fonds de la Bibliothèque nationale de France, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques dans les meilleures éditions du XIXe siècle.