La fragilité de l'alliance entre le jour et la nuit caractérise une création
menacée par l'immense fond, muet et chaotique, des ténèbres primitives
qui, rebelles à leur limitation par la parole créatrice, cherchent
à effacer les réalités distinctes que cette parole fait être. Les ténèbres semblent
en effet vouloir se venger en envahissant la nuit au point de la faire ressembler
à une détresse insurmontable et à un effroi sans fin ; mais elles
usurpent aussi le nom du jour quand, sous prétexte de suprématie lumineuse,
elles prétendent chasser la nuit de la terre, avec des conséquences
tragiques là encore. L'énigme de cette puissance des ténèbres, dans une
création déclarée bonne par son Créateur, tourmente ceux qui ne se laissent
pas envoûter par elles mais qui voient bien combien grandes sont leurs menaces.
Cependant, pour des spiritualités initiées et orientées par le récit biblique,
celles-ci ne condamnent pas fatalement à l'emprise du désespoir :
elles mettent plutôt chacun au défi quotidien de faire triompher la parole d'alliance
sur le maléfice de la confusion primordiale. Ce combat dure toute la
vie, car la part de jour gagnée sur les ténèbres manque toujours de stabilité.
Il commence dans l'intériorité de chacun, dans le désir difficile et souvent
douloureux de faire émerger, en soi, de soi, mais pas seulement pour soi, des
pensées, des mots et des actes qui avivent encore le goût de la lumière.