D'où l'art moderne peut-il tirer cette impunité qui le met à l'écart du jugement, le délivre de l'obligation d'être utile, le soustrait au devoir de rendre des comptes à la communauté ? L'artiste serait-il l'homme qui ne répond de rien ?
Cette impunité est liée au privilège accordé depuis un siècle à l'avant-garde censée incarner le progrès et la révolution. L'analyse historique de Jean Clair montre que l'avant-garde s'est non seulement modelée sur les utopies politiques d'extrême droite autant que d'extrême gauche, mais qu'elle en a aussi fourni les principaux articles de foi. Elle a partagé leur violence, leur haine de la culture et, finalement, depuis les années soixante, érigé le dogme anti-humaniste en programme d'action.
Au moment où s'épuise, avec la notion même d'avant-garde, la créativité qui était supposée lui être liée, les artistes revendiquent le double avantage d'incarner l'insoumission aux pouvoirs publics tout en se faisant largement subventionner par eux.
Cet essai retrace la généalogie d'une perversion. Il s'inscrit dans la discussion, voire la polémique, ouverte depuis quelque temps sur la nature de l'art contemporain et les critères de son jugement.