Quel est le rôle de la modélisation dans le développement de la science économique et plus largement au sein de la société ? La science développée par nos chercheurs et enseignée à nos étudiants est-elle à ce point abstraite, dans des théories et des modélisations d'un formalisme extrême, qu'elle en est devenue incapable de répondre aux questions sociales et politiques du moment ? Doit-on continuer à penser la science économique comme la plus formalisée des sciences sociales ayant depuis longtemps dépassé le statut de l'économie politique ? Ou bien faut-il considérer que cette discipline est devenue dans le dernier siècle une ingénierie soucieuse d'associer théorie et intervention au sein même de la société ? Une telle science est-elle alors capable de fournir des expertises aux décideurs ? Symétriquement, n'y a-t-il pas danger si elle perdait son statut de science libre de toute influence, pour être soumise à la demande sociale de régulation et de gestion des marchés ? Est-il raisonnable de penser qu'elle a déjà les outils capables de modifier rapidement la réalité même des marchés et des institutions ?
Ce livre se propose de répondre à ces questions par une suite d'études historiques sur les outils de quantification (moyennes, indices, coefficients de corrélation) ou de modélisation économétrique, non seulement tels qu'ils sont inventés, mais tels qu'ils sont aussi associés à des dispositifs opératoires. Il s'intéresse en particulier à ceux mobilisés pour résoudre les questions à forts enjeux qui apparaissent dans des contextes de crise, de guerre, ou de mutation de nos systèmes socioéconomiques, et dont l'ensemble forme la science économique du XXIe siècle.