Que peut-on lire dans le Guernica de Picasso ? Pourquoi Buster Keaton ne sourit-il jamais ? Que découvre-t-on en filigrane dans la philosophie de Nietzsche ? Quelles ont été les premières années de celui qu'on appelait «le petit père des peuples» - Joseph Vissarionovitch Staline ?
On retrouvera ici la préoccupation essentielle d'Alice Miller : mettre en évidence une vérité qui a si souvent été - volontairement ? - mal interprétée. Non, tous les enfants humiliés et maltraités ne deviennent pas des monstres ; mais tous les monstres, tous, ont d'abord été des enfants humiliés et maltraités (les pages sur l'enfance de Staline, qui font écho à celles de C'est pour ton bien sur l'enfance de Hitler, sont à ce titre exemplaires). Seule la confrontation avec cette vérité, jusqu'à présent ignorée dans l'ensemble des civilisations, peut sauver l'humanité de l'autodestruction la plus aveugle.
Et pourquoi ce rapprochement entre l'art et la politique ? C'est que là s'établit, pour Alice Miller, le clivage essentiel : si certains enfants, abominablement maltraités, ne sont pas devenus des meurtriers mais des écrivains ou des artistes, c'est qu'ils ont bénéficié, à côté de toutes les horreurs subies, de l'affection d'une personne au moins qui leur a permis, par contraste, de prendre conscience de la cruauté qui leur était infligée. De ses découvertes, Alice Miller tire en effet la conclusion que l'homme n'est pas «naturellement» destructeur, mais que les mauvais traitements et les humiliations de l'enfance peuvent faire de lui un monstre, s'il ne trouve auprès de lui personne pour l'aider à affronter sa vérité. D'où l'importance de ces «témoins lucides», dont la seule présence pourra permettre à l'enfant devenu adulte d'échapper à l'engrenage de la haine et de la folie destructrice, c'est-à-dire de protéger la vie - celle de ses enfants comme la sienne propre.