En mai 1913, Rodin refusa de signer l'épreuve d'une gravure que lui apportait Gladys Deacon, célèbre femme du monde et collectionneuse. Enquêter sur cet incident, c'est remonter le fil d'une histoire où l'estampe, passant de mains en mains, présente des analogies avec le papier-monnaie. Peu de médiums artistiques sont aussi relationnels que l'estampe, cette feuille volante : par sa traversée des cercles professionnels et sociaux, celui des graveurs, imprimeurs, éditeurs, marchands, collectionneurs, bibliothèques et musées, une simple gravure met en rapport des milieux et des jugements différents. Le cas de la pointe sèche de Rodin intitulée Les Amours conduisant le monde (1881) est exemplaire de ce périple au cours duquel se confrontent divers points de vue sur la même oeuvre. Les archives parisiennes de la bibliothèque de l'Institut national d'histoire de l'art, croisées avec celles du musée Rodin, permettent de reconstituer ce parcours tumultueux.