Tout animal, chaque fois qu'il surmonte une difficulté, éprouve en retour une satisfaction, que son organisme lui procure sous forme de récompense. Rien de plus universel. Mais l'homme est cet animal singulier qui a appris à jouir pour lui-même de son plaisir cognitif. Ce qui n'était qu'un instrument est devenu un but en soi, qui a libéré l'homme de son environnement tout en l'enchaînant à sa propre quête de jouissance.
Il en découle une thèse historique aux conséquences capitales. Depuis que, à l'aube de sa préhistoire, l'homme a découvert son aptitude au plaisir, le devenir des civilisations n'a obéi qu'à une seule logique, profondément addictive : l'intensification de ce plaisir. Le processus de très longue durée qui est alors enclenché s'appelle l'anthropocène. Car les sociétés humaines ont toujours avancé dans une même direction, mais elles le faisaient à leur insu : non pas en visant ce progrès de la civilisation qu'idéalisaient les philosophes des Lumières, mais entraînées par la poussée invisible de leur libido cogitandi. Si Ben que, de la révolution néolithique jusqu'à notre mondialisation effrénée, leur course a toujours été une course folle, ignorante de la force qui l'impulsait.