Un soir de neige, un enfant, un petit mulâtre, vient trouver une vieille, et lui remet une liasse de lettres et de pages arrachées à des registres. Dans une langue étrange et avec le peu de mots qu'il a, il lui apprend le retour et la mort, tout près d'elle, dans une cabane sur la falaise, d'un fils qu'elle a autrefois envoyé en Amérique.
C'est à peine si l'enfant parle, s'il dit ce qu'il a à dire, mais ce qu'il y a à entendre elle l'entend, elle et tous ceux qui cette nuit de neige sont rassemblés autour d'elle dans cette masure des coteaux de Nantes, et qui bientôt racontent, disent ce qu'ils savent.
Et l'on se demande au terme de cette histoire d'amour et de soumission, de ces soumissions éperdues où la volonté n'a plus de place, ni le rêve d'une vie, qui donc ici est le véritable narrateur : ce «nous», obscur, immémorial que l'on entend de la première page à la dernière, à la manière d'un chœur antique disant et accompagnant la fatalité. Ou cet enfant dont les silences sont comme autant de paroles, et des plus terribles.
En arrière-plan de ce récit nourri des lettres du fils à la mère, et d'une marche à travers l'île aussi longue et obsédante que les années qui suivront, règnent les images silencieuses d'un univers étrange et cruel, celui des plantations au XVIIIe siècle, d'une solitude et d'un exil partout présents dans l'œuvre de Michèle Desbordes. Et comme dans La demande dont ce livre constitue, en une sorte de diptyque, l'exact pendant, un besoin éperdu d'éternité.