Cet ouvrage sonde les spécificités du corpus littéraire colonial belge au moment de la décolonisation (1945-1960). Cette période de grands bouleversements géopolitiques n'épargne pas «l'empire belge» qui pendant ces années, d'abord sur un mode subreptice, donne les premiers signes de son agonie. C'est donc dans ce climat proto-révolutionnaire, qui coïncide par ailleurs avec la consécration d'écrivains congolais tels que P. Lomami-Tshibamba ou A.-R. Bolamba et l'avènement de leaders politiques tels que P. Lumumba, que la littérature coloniale belge d'expression francophone «vit» ses dernières heures. Orientalisante, ethnologisante et volontiers dénigrante vis-à-vis de l'altérité centrafricaine, ce corpus - toujours hanté par les «fantômes» de Léopold II et de Stanley - n'en est pas moins travaillé par les questionnements qui caractérisent cette période de rupture. Pour explorer les traits saillants de cette mémoire littéraire, les écrits - romans, nouvelles, essais - de quatre auteurs principaux sont mis à contribution: Georges Duncan, Henri Cornélus, Marcel Tinel et Joseph Esser. Les deux premiers continuateurs d'une poétique «conradienne», «inventent» l'Afrique en la figurant comme la métaphore d'un énième «déclin de l'Occident». Les deux autres, en revanche, plus en phase, semblerait-il, avec l'émergence d'une expressivité littéraire «négro-africaine» réfléchissent, par le biais de «véritables romans nègres», aux chocs culturel et ethnique induits par le colonialisme. Cette réflexion, qu'engageront plus tard des auteurs tels que Valentin Yves Mudimbe ou Georges Ngal, fait entrevoir, là où l'on s'attendait à un cloisonnement strict, un riche réseau de correspondances et l'histoire d'une continuité herméneutique entre les champs littéraires coloniaux et postcoloniaux.