Le vingt et unième jour de la douzième lune de l'an quatre (soit en l'an 935), un gouverneur de la province de Tosa quitte sa résidence officielle pour regagner la capitale. Il lui faudra cinquante-cinq jours pour couvrir les quatre cents kilomètres qui séparent cet endroit, situé sur la côte méridionale de l'île de Shikoku, de l'actuelle Kyoto, la Ville par excellence.
Le voyage par mer est long, semé d'embûches, coupé de banquets dans les ports d'escale. Si les nuages sont bas, le vent trop violent, on reste à quai et l'on s'ennuie. Les femmes même et aussi les enfants, le capitaine du bateau, les visiteurs, tous mangent et boivent beaucoup, mais surtout écrivent et disent des poèmes.
C'est ce voyage que, audacieusement, Ki no Tsurayuki décrit dans la langue des femmes en prétendant être l'une d'elles, supercherie qui sera vite découverte.
Ki no Tsurayuki, né en 872 et mort en 946, est le plus illustre poète de son siècle. Familier des souverains, on lui doit d'avoir imposé l'usage de la langue des femmes, le japonais et non le chinois, langue administrative et officielle, dans la littérature japonaise.