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Au centre de l’univers animal de la montagne libanaise se trouvent le mouton à queue grasse et le ver à soie. Tous deux sont nourris de feuilles de mûrier, et le mouton mange aussi un produit hautement valorisé, les restes des feuilles ayant servi à nourrir les vers. Le mûrier dont les terrasses ont façonné le paysage de cette montagne, est l’arbre de la magnificence, à la fois damné et sacré. L’animal et le végétal s’imbriquent dans une pratique d’élevage peu commune, le gavage. Gaver, c’est rendre gras, sur-dimensionner ; c’est aussi créer un autre animal, avec une nouvelle image. L’acte de domestication ne sert pas seulement à rentabiliser un animal mais aussi à le transformer en le rendant « encore plus domestique » c’est-à-dire « encore plus gras » et « encore plus proche de l’homme ». La base de cet élevage exceptionnel repose sur un rapport au milieu, une gestion de ressources mais aussi sur un système symbolique et rituel. Castré et privé de son autonomie à se nourrir, le mouton dépasse cette double dépendance par l’affection que lui porte la femme qui le gave, affection qui a une retombée économique réelle. Il devient, à la fois animal et humain, à la fois mâle et femelle. Gaver s’apparente ainsi à une action qui transgresse une certaine image, un ordre naturel où l’animal reste confiné dans une typologie stricte, et un ordre culturel où il ne peut pénétrer le foyer humain. Dans le gavage, forme extrême d’intervention de l’homme sur l’animal, cet ordre est renversé. Si la transformation du mouton en animal « encore plus gras » est un succès, celle qui en a fait un animal « encore plus proche de l’homme » se doit d’être interrompue lors de l’abattage par une licitation rituelle. Vulnérable, subissant une action de grande portée, proche de la mort, le mouton a un statut particulier. Au terme du gavage, il est du devoir des humains de l’abattre, de le « sacrifier ».