L'écart
Grande, fine, intrépide, elle vacille, tel un petit navire dans la tempête, elle hésite entre deux destins : se laisser emporter vers le sud, vers ce Londres qui brille, dans la nuit violente qui fait oublier le jour où l'on est trop seul, où tout est trop cher, où le travail manque. Ou se fracasser contre les falaises de l'île natale, dans cet archipel des Orcades battu par les vents et dont la vie rude lui semble vide et lui fait peur. Elle l'ignore encore mais il existe une troisième voie : écouter résonner l'appel qui la hante, qui vient toucher cette part d'elle assoiffée de grand large, de grand air, de grande beauté. Non pas rester mais revenir. Choisir. Troquer la bouteille assassine contre une thermos de café fort, troquer l'observation narquoise et éperdue de la faune des nuits de fête tristes pour la contemplation des étoiles et des nuages, et l'inventaire des derniers spécimens de râle du roi caille, un oiseau nocturne comme elle, menacé comme elle, farouche comme elle. Sa voie s'appelle l'écart. C'est l'humble nom d'une bande côtière où les animaux sauvages et domestiques peuvent se côtoyer loin des regards, où folâtrent des elfes ivres d'embruns. C'est le titre fier de son premier roman.
« N'est-il pas merveilleux de vivre constamment au bord du monde ? »