Légendes du sang
L'antisémitisme chrétien s'est constitué à partir d'un ensemble fantasmatique fait de légendes et d'allégations infamantes reposant sur un fonds théologique et archaïque. La vaste fresque présentée par l'anthropologue Joanna Tokarska-Bakir déconstruit ce système à l'oeuvre dans l'Europe chrétienne dans ses aspects linguistique, ethnologique, historique et politique et remonte ainsi à la racine de ces légendes sanglantes qui, propagées par le clergé, ont essaimé en Europe depuis l'Angleterre au XIIe siècle jusqu'en Pologne où elles se sont perpétuées jusqu'à nos jours.
La première partie de l'ouvrage analyse un corpus de cent récits anciens (XIIe-XVIIIe s.) qui ont nourri les croyances populaires en ces légendes du sang. Elles fondent les récits de profanations d'hostie et d'images saintes, mais aussi d'assassinats d'enfants chrétiens prétendument commis par les Juifs pour se procurer le sang nécessaire à la fabrication du pain azyme. Ces récits ont exploité et manipulé une fausse violence juive pour justifier les vrais massacres chrétiens perpétrés contre les Juifs. Diabolisé, le Juif imaginaire a progressivement changé de statut, passant de celui de voisin à celui d'ennemi absolu, meurtrier « assoiffé de sang chrétien ».
La seconde partie repose sur une récente enquête de terrain (2005), conduite auprès de quatre cents Polonais. Ces entretiens révèlent la persistance du mythe du « meurtre rituel » : la légende fonctionne comme un savoir constitué, familier et naturel, incrusté dans la langue, la religion, les transmissions familiales. En 2008, on trouvait encore dans la cathédrale de Sandomierz un tableau représentant un meurtre d'enfants chrétiens par des Juifs.