
Incarné dans la figure grecque du tout puissant Éros et trop souvent confondu avec l'amour, le plaisir ou la sexualité, le « désir » s'est aujourd'hui imposé comme moteur de toute chose : apprentissage ou justice, mais aussi ivresse ou sobriété, liberté ou autorité, tout est désirable, jusqu'à la pensée, et même la violence... Comment une telle hégémonie s'est-elle mise en place et que deviennent la confiance, la réciprocité, l'amour, le plaisir ou encore le don sous le régime d'Éros ? À ces questions essentielles Fautrice répond en convoquant non seulement la philosophie et la psychanalyse, mais aussi la littérature et la linguistique, l'histoire, l'anthropologie, la sociologie ou encore l'économie, afin de cerner des oppositions récurrentes, des attracteurs cognitifs qui apparaissent et disparaissent dès l'Antiquité autour de cette notion de « désir ».
Interrogeant en parallèle l'évolution des notions grecques de thumos, epithumia, philia, pistis, aidôs, anagkê, timè ou kharis, elle montre que c'est à partir de Platon et contre Homère que s'est constituée une pensée (qui n'est pas celle de « Platon », auteur polyphonique des Dialogues, mais celle en particulier de Diotime, la prêtresse du Banquet) imposant une définition érotique de l'âme, qui fonde une anthropologie de type économique où, caché sous le masque d'Éros, règne Cupidon, le cupide. Érotisé et soumis à l'exigence d'une réévaluation vers un au-delà, l'amour est pris dans une dynamique qui s'est révélée propice à de multiples appropriations et propagandes idéologiques, religieuses, politiques, économiques et sociétales.
C'est cette conception dominante platonicienne du « désir » brandi comme la plus haute valeur qui oriente subrepticement la pensée contemporaine, de Michel Foucault à Georges Didi-Huberman, en passant par exemple par Jean-Luc Marion ou Emmanuel Levinas. À cette pensée dominante s'est opposée celle de l'orateur Lysias qui, dans le Phèdre de Platon, propose une alternative indispensable pour déconstruire l'empire d'Éros.
Nous publions uniquement les avis qui respectent les conditions requises. Consultez nos conditions pour les avis.