« Les enseignements de haine réciproque et de lutte sans pitié n'ont pu détruire le sentiment de solidarité humaine, profondément enraciné dans l'intelligence et le cœur de l'homme. »
À la fin du XIXe siècle, des hommes de science présentaient la nature et la société comme un univers de rareté, où se déroule un « spectacle de gladiateurs », une « mêlée générale perpétuelle »; les plus forts, n'agissant qu'en fonction de leur intérêt individuel, en sortent victorieux, assurant ainsi le progrès. Ces thèses faisaient bien l'affaire des économistes libéraux : elles donnaient au capitalisme une justification « scientifique ». Depuis la fin des années 1970, avec la montée du néolibéralisme, ces idées sont revenues au goût du jour : invoquant la responsabilité individuelle et les bienfaits de la compétition, on voue un culte aux « battants », aux « gagnants », aux « conquérants »...
Dans L'entraide, un facteur de l'évolution, le penseur russe Pierre Kropotkine (1842-1921) proposait plutôt, exemples à l'appui, une conception du progrès dans la nature et la société fondée sur l'entraide et la sociabilité. Homme de son temps, il faisait certes preuve du même scientisme naïf que les savants qu'il pourfendait, mais il a le mérite d'avoir mis en lumière des comportements animaux fascinants et des réalités historiques et culturelles trop souvent oubliées, comme l'espace politique autonome qu'ont constitué les cités libres du Moyen Âge.
Théoricien de l'anarchisme, Kropotkine comptait ainsi enraciner les idéaux de liberté. Après avoir réfléchi sur l'économie, le travail et l'industrie dans les œuvres marquantes qu'ont été La conquête du pain (1892) et Champs, usines, ateliers (1899), il partait, dans L'entraide (1902), à la recherche des fondements mêmes d'une éthique libertaire.
Cette édition de L'entraide est accompagnée d'une préface du sociologue Mark Fortier.