Léon Cladel (1835-1892) : découvert par Baudelaire, loué par Barbey
d'Aurevilly, il est à la fois urbain et rural, classique et moderne, au style
à la limite de l'archaïsme, du néologisme et de la préciosité, naturaliste
au souffle épique renouvelé. Comme Maupassant, Alphonse Daudet ou
Zola, qui évoquent la guerre de 1870 et la Commune de Paris, Cladel
s'inspire des événements contemporains. La fictionnalisation de la
Commune est un travail de réinvention notamment à travers ses nouvelles,
comme «Revanche» (1873) et son roman posthume I.N.R.I.
(1931) qui reprend et développe ce premier récit. Cladel revient sur le
passé pour décanter la mémoire collective et à défaut d'être un acteur de
l'Histoire comme Vallès, il va jouer le rôle de témoin, de porte-parole.
Si l'armée des ombres a été décimée, exilée, dispersée aux quatre vents,
l'écrivain parfois censuré, poursuit cependant son humble tâche : collectionner
les souvenirs, transposer et donner un sens à ce qui risquerait
d'apparaître sinon comme une absurdité sanglante.
Peut-on pour autant considérer l'écriture de Cladel comme une écriture
monumentale, la muséification édifiante d'une Histoire figée dans
un arrêt sur image d'Épinal ? L'immense prosopopée des combattants de
l'ombre transforme le livre aux accents parfois hugoliens en chambre
d'échos de son siècle, pour faire entendre les tremblements de la ville-volcan
qui renaît sans cesse de ses cendres et faire sentir les soubresauts
du peuple martyr. Contre la page blanche, la froide stèle funéraire,
l'écrivain des causes perdues brandit son texte, comme un tissu aux
multiples broderies, sans cesse défait et retravaillé - travail pénélopéen
ou cyclopéen ? - comme un linceul de mots ou un drapeau déchiré.