Fils de charpentier, né en 1926 en Moravie (dont il gardera des traces
de la langue, populaire, drue, volontiers anticonformiste), le Tchèque
Ludvik Vaculik fait un apprentissage de cordonnier, puis des études
de sciences politiques. Journaliste, il déploie sa critique sociale dans
les plus importants organes de l'intelligentsia réformiste. Son roman La
Hache évoque le sort de son père et l'itinéraire d'un jeune journaliste
confronté, d'un idéal à l'autre, à l'usurpation du pouvoir. En 1967, son
discours au Congrès des écrivains («aucune question humaine n'a été
résolue en l'espace de vingt ans») est analysé comme l'un des signaux
du Printemps de Prague, dans lequel il s'engage avec force. Il rédige
durant l'événement le manifeste des «Deux mille mots», où il demande
à la population de défendre sans faillir une culture et un socialisme
purifiés des tares du passé. Ce texte est dénoncé par le régime issu de
l'occupation de la Tchécoslovaquie en août 1968 comme une plateforme
de la contre-révolution et aboutit à sa seconde exclusion du parti.
Son oeuvre est mise à l'index.
Au ban de la société, mais se refusant à l'exil, Vaculik publie de manière
clandestine, sous forme de samizdats, deux romans : Les Cobayes
(1973) et La Clef des songes (1981), chronique de l'oppression
témoignant de son expérience et de sa surveillance policière, au jour le
jour, sous le régime communiste.
Vaculik crée les éditions Petlice («du Cadenas»), où il publie Jaroslav
Seifert, Hrabal, Havel, Ivan Klima, ce qui lui vaut les poursuites
persévérantes de la police d'État, la STB. Après la chute du régime
communiste, il publie des textes à caractère autobiographique. Et
continue de commenter, dans des feuilletons hebdomadaires, la vie
politique et sociale, dans la tradition de Capek ou Havel.
Dans l'utilisation d'une voix faussement neutre et apaisante pour signifier
des allégories troublantes, l'auteur des Cobayes a été comparé à
Vonnegut et à Roald Dahl.
Vachek, le héros des Cobayes, travaille dans une banque d'État dont
les employés passent leur temps à voler les billets de banque. À Noël, il
offre à ses fils un cobaye, puis un deuxième. Il est tellement fasciné par
ces animaux qu'il commence à les observer de manière systématique.
Et plus il fait d'expériences sur les cobayes, plus sa vision du monde
se dérègle : d'abord les choses les plus anodines, puis la santé de ses
enfants, l'absence de sa femme, certaines menaces de ses collègues, et
bientôt le spectre d'une banqueroute géante dans tout le pays...
Écrit en 1970, publié en samizdat puis connu dans le monde entier
grâce à ses éditions étrangères, Les Cobayes est d'une actualité
étonnante et amère. Rarement l'étrange aura surgi aussi insidieusement
dans le quotidien, jusqu'à bouleverser, dans une apothéose kafkaïenne,
la grammaire même du texte. L'écriture est faite de remarques décalées
sur un quotidien où l'on finit par douter de tout. Vachek, le narrateur du
livre, s'excuse de parler par énigmes. Mais le lecteur est comme lui : il n'a
pas fini de découvrir le véritable sens des cobayes.