Les Incas et la déformation intentionnelle du crâne
Un marqueur social, culturel, ethnique et religieux
« La coutume d'avoir la tête aplatie test si enracinée chez eux qu'ils mettent les enfants sous
presse dès leur naissance ; ils leur appliquent sur le front une petite planche et sur la nuque
une autre si grande qu'elle peut servir de berceau et supporter le corps du nouveau-né ».
C'est ainsi que le jésuite espagnol Acuna décrit au XVIIe siècle la déformation crânienne pratiquée
par les Omaguas, une communauté établie le long de l'Amazone. Pourquoi s'intéresser à l'art de
déformer les crânes ? Comment un sujet aussi singulier peut-il amener à se poser des questions
sur les rapports au sacré, au statut social, à l'appartenance ethnique des individus ? Quasiment
disparue de nos jours, assimilée à des pratiques barbares et à de la torture, la manipulation de
l'occiput étonne les contemporains pour qui il semble étrange que l'Homme ait pu s'affliger volontairement ces souffrances. Pourtant, les déformations crâniennes représentent des coutumes
très anciennes répandues dans pratiquement toutes les sociétés depuis la plus haute Antiquité.
L'Amérique du Sud est l'une des aires géographiques où elles furent le plus largement mises en
oeuvre, particulièrement dans les Andes. Au XVIe siècle, les Espagnols s'en étonnent fortement
et décrivent avec force détails ces usages qui leur semblent si étranges, voire démoniaques. La
manipulation du crâne offre un terrain de choix pour étudier la symbolique corporelle. Par l'altération volontaire et de manière permanente de l'enveloppe corporelle, la surface du corps est un
formidable support pour se démarquer, se différencier et affirmer son identité, ses croyances, son
statut. Se fondant sur des sources littéraires, administratives, religieuses et sur l'archéologie, cet
ouvrage s'intéresse tout autant aux techniques utilisées pour façonner les crânes qu'à la symbolique esthétique, religieuse, sociale, ethnique, politique de telles coutumes profondément ancrées
dans les sociétés andines, ce qui explique pourquoi les autorités espagnoles luttèrent férocement
contre une pratique encore fortement présente au XVIIe siècle et même au-delà.