À la fin du XIXe siècle est née une figure, bientôt étayée par l'aventure dreyfusiste : l'intellectuel de gauche. Libéral par tempérament, social par raison, il est farouchement hostile à tout ce qui violente la liberté de l'esprit. Il est souvent homme de passion et entretient avec la politique des liens tout affectifs. Il peut s'engager avec enthousiasme dans les causes où la justice et la vérité lui semblent menacées. Il signe alors des pétitions, témoigne dans des procès, s'enflamme dans des meetings. Mais ce jeu-là n'est pas vraiment le sien. Il préfère distiller sa pensée dans des revues, enseigner au peuple la culture qui l'émancipera ou procéder à l'élaboration de constructions théoriques dans le silence de quelque cénacle au profit du socialisme dont il dénonce souvent la misère théorique. Par-dessus tout, il n'est pas sectaire, même s'il demeure ferme, campé sur quelques principes. La Première Guerre mondiale puis la Révolution russe, en redistribuant les cartes idéologiques, bouleversèrent les comportements politiques. L'une et l'autre assurèrent l'émergence d'un autre modèle, esquissé dès les années 1910 : l'intellectuel partisan. Les termes de l'échange culture/politique basculèrent au profit du second ordre qui devait désormais tout commander. Les états d'âme n'étaient plus de ce monde moderne qui associait tout choix politique aux ordres de la vie et de la mort. La guerre fut au centre de bien des débats, et d'elle naquit la plus pure métaphysique. Il fallait choisir son camp. Ce nouvel intellectuel de gauche, influencé par les types antagonistes, fasciste et communiste, eut son heure de gloire et sa théorie après la Seconde Guerre mondiale. C'est l'histoire que relate cet ouvrage.