L'orientalisme et l'idéologie nationaliste ont laissé dans l'ombre les relations pluriséculaires nouées par l'Iran avec le reste du Moyen-Orient, mais aussi et surtout avec le Caucase, l'Asie centrale, le sous-continent indien et l'Extrême-Orient. Il en est découlé une perception distordue de l'histoire du pays. Depuis une quarantaine d'années, l'exil politique, l'expatriation économique, la généralisation du commerce transfrontalier, les pratiques de pèlerinage, l'engagement internationaliste dans différents conflits de la région ont conféré une importance accrue à l'institution de la frontière. D'autant que l'Iran est devenu un pays d'immigration et de refuge, accueillant sur son sol plusieurs millions d'Afghans et d'Irakiens. En outre, la frontière géographique et politique met en jeu d'autres frontières, entre les genres, entre le public et le privé, entre la légalité et l'illégalité, entre le religieux et le profane.
Fariba Adelkhah se livre à une anthropologie des pratiques sociales du voyage en privilégiant l'étude des réseaux financiers et commerciaux transfrontaliers à l'échelle du Grand Khorassan et du golfe Persique, de l'expatriation au Japon, de la diaspora irano-californienne, de l'immigration afghane en Iran, des pèlerinages sur les lieux saints de Syrie et d'Arabie, des rêves de départ et de retour qui habitent le corps social. Au fil d'une observation participante s'étalant sur une dizaine d'années, elle apporte un éclairage neuf sur l'économie politique du néolibéralisme en République islamique, sur la participation sociale des femmes, sur la conscience nationale et religieuse - en bref sur ce qu'être Iranien (et Iranienne) veut dire, au jour le jour, et sur l'ambivalence des appartenances ou des identités. Quand les voyages forment la nation...