À cet instant, le passé, passé, ne serait plus que mots. On se
livrerait alors, fût-ce pour rire, au besoin douloureux de dire
en toute liberté sa vie rêvée : le dernier souffle animerait le
dernier livre. Malgré tout, on forcerait sa crédulité par un effet
d'éloignement, en parlant de soi comme d'un autre, et d'un
autre encore, héros d'un autre livre. Et on dirait que règne
l'ordre voulu. Mais les mots, qu'on les mette en histoire ou
qu'on leur laisse libre jeu, ramènent à la présente impossibilité
de vivre. Qu'importe : on serait le plus rusé. On aurait semé
des indices. On ferait de l'itinéraire entier une quête, une
enquête brillamment menée, dont le terme serait le besoin
apaisé, le silence, la mort vécue. Mais qui vient, porté par les
mots, sinon le seul soi-même ? On ne peut se savoir mort, et
la farce métaphysique s'achève à son début, dans la souffrance
et le leurre des répétitions, du livre, de tous les livres.