L’Esthétique musicale classique et romantique (1988), l’ultime ouvrage de Carl Dahlhaus, est une présentation de la réflexion musicale entre l’« époque-seuil » (Kosellek) située autour de 1770 et les décennies tardives du XIXe siècle, qui marquent le début de la modernité. Même s’il traite essentiellement de l’Allemagne, cet ouvrage est universel, dans la mesure où l’esthétique musicale allemande, en particulier durant la décennie décisive ouverte par la Critique de la faculté de juger de Kant (1790) et close par les Fantaisies sur l’art de Ludwig Tieck (1799), a été à la pointe de l’évolution européenne. Le romantisme fut un phénomène d’esthétique musicale avant de devenir un phénomène musical ; il s’affirma comme mode d’écoute avant de pénétrer les styles et les formes de la composition. Parmi les faits les plus curieux de l’époque sur laquelle le livre est centré, figure la simultanéité des esthétiques musicales classique et romantique. Néanmoins, l’esthétique musicale classique demeurait vers 1800 rudimentaire, parce qu’il n’y avait pas de liaison efficace entre Vienne, le lieu du classicisme musical, et le foyer essentiel de développement de la réflexion sur la musique, le centre et le nord de l’Allemagne. À certains égards, le grand critique musical autrichien Eduard Hanslick (†1904), qui a été injustement traité de formaliste, est l’esthéticien qui a réussi à donner une formulation légitime de l’esprit de la musique classique. C’est d’elle que purent partir plus tard, bien que sans le dire, August Halm et Heinrich Schenker.