L'Étranger en trois questions restées obscures
Pourquoi faut-il que la plage où survient le meurtre de « l'Arabe » ne corresponde à aucun lieu identifiable de la côte algéroise ? Quel mouvement inavoué porte Meursault à y faire, seul, ce dernier retour qui sera fatal à sa victime ? À quoi concourt l'invraisemblance finale de sa condamnation à une exécution publique ?
Lieu du crime, mobile, verdict...
Pour tenter d'éclairer ces trois points d'incertitude de L'Étranger, sont ici questionnées l'histoire judiciaire ou la géographie de l'Algérie d'alors, aussi bien que les traductions visuelles proposées du roman par le cinéma ou la bande dessinée... Mais l'on devra démêler dans la texture même de ce récit sans pareil, ce qui, hors de l'exactitude vériste, relève des seules nécessités littéraires de la symbolisation ou de cette « part obscure » faite, selon Camus lui-même, de tout ce que son oeuvre gardait « d'aveugle et d'instinctif ». Car il fallait cette conjonction pour que la chronique d'un fait divers algérois comme il en était d'autres s'érige en parabole du non-sens de toute destinée humaine. Pour que, dans le même temps, le ressort émotif le plus intime de la relation à autrui y soit décelable sous le préjugé racialisé de cette époque. Et qu'à l'avoir si bien figuré, le roman de 1942 livre la métaphore la plus lucide de l'aliénation destructrice dans laquelle le principe colonial enfermait toute relation humaine.