Spinoza est le principal et le plus génial représentant de ces
«Lumières radicales» identifiées par l'historien Jonathan Israël.
Il n'est pas un penseur solitaire, mais un homme engagé à sa façon
dans un puissant mouvement qui vise l'émancipation humaine.
Avec Spinoza s'annonce «le crépuscule de la servitude». Et c'est
bien d'un grand commencement dont il s'agit.
Il ne faut pas se méprendre. Les lumières de Spinoza ne consistent
pas seulement à dissiper les prétendus mystères et les brumes de la
religion pour leur substituer la connaissance scientifique, rationnelle,
de la réalité (Dieu ou la nature). Spinoza n'est pas seulement un
démystificateur : il ne s'agit pas d'ôter les fleurs imaginaires qui
camouflent les chaînes mais de briser les chaînes qui asservissent
l'homme pour cueillir la fleur vivante. Comprendre les lois de la
nature, c'est très bien, mais plus utile encore est la compréhension
des lois de la nature humaine, la compréhension des mécanismes
affectifs qui permettent la domination des uns et la servitude de tous.
C'est le sens profond de L'Éthique : comment se libérer, comment
bien vivre ? Les plus grands, Diderot, Hegel, Marx, se nourriront de
cet enseignement-là.