Prenons pour une date symbolique ce 4 octobre 1926, où André Breton, optant pour ce qu’il appelle le « comportement lyrique » décida d’incorporer à la fiction de l’être féminin qu’il cultivait depuis son adolescence une passante de la rue Lafayette qui répondait au nom de Nadja. N’est-il pas vrai que, par cette décision, il inventait ou réinventait pour son propre compte la poésie, c’est-à dire la vie poétique, cette utopie qu’entretenaient aussi certains de ses amis, et qu’avait illustrée déjà Louis Aragon sous le nom du Paysan de Paris ? La poésie, la vie poétique, ne saurait se confondre avec le métier d’écrivain. Elle fait, en revanche, une place de choix à la métaphysique et, plus encore, à l’amour. On ne s’étonnera donc pas que la figure féminine soit constamment au centre des préoccupations du poète surréaliste. Une figure qui n’appartient pas davantage au réel qu’à l’imaginaire, et mérite, de ce fait, la qualification de magique-circonstancielle. Une figure qui, de surcroît, se dérobe autant qu’elle s’offre, objet d’une jouissance mélancolique et répondant à la condition de cette beauté érotique-voilée qu’on reconnaît aisément dans la Mariée de Marcel Duchamp. Ce qu’on appelle ici l’Invention de la Poésie ne revendique pas le statut d’un événement historique inscrit dans l’évolution de la littérature. Pas plus que la poésie ne veut être confondue avec ce genre littéraire que le mètre et la rime suffisent à distinguer de la prose. Il s’agit bien plutôt d’une activité mentale, associée à une pratique du langage, susceptible de réformer notre rapport au monde et à autrui, notamment dans l’amour, lequel, écrit symétriquement Breton, est « à réédifier ».