L'objet du siècle
Et s'il venait à l'esprit de désigner parmi tous les objets du monde celui qui serait l'Objet du XXe siècle ? L'Objet moderne ? Que dans ce siècle de triomphe des objets on se tourne d'abord vers l'art, ce n'est pas pour faire joli, mais parce que les oeuvres d'art sont des objets un peu spéciaux : des objets qui pensent et qui font voir - spécialement ce que c'est qu'un objet. Un genre de lunettes intelligentes.
Et ce que des oeuvres inaugurales de l'art de ce siècle nous découvrent - merci Duchamp ! vive Malevitch ! -, c'est une chose assez curieuse, des objets tout tissés d'absence, au point qu'objet et absence d'objet ce serait presque tout un. On dira que l'absence ce n'est pas vraiment un objet, pas comme une chaise ou un ours en peluche. Objet subtil, mal visible, peut-être, mais qui niera qu'on s'y cogne parfois durement ? Et comment ne pas buter contre le fait qu'au coeur même de ce siècle se sont dressées des usines à absence, conçues pour fabriquer de l'absence comme des savonnettes ? Auschwitz & Cie.
Que le siècle de l'objet aura autant été le siècle de l'absence, voilà l'idée. Que l'art nous montre ça, voilà le soupçon. Nos sociétés font tout pour nous distraire. C'est gentil. Fermez les yeux, telle est l'invitation au sommeil dont elles nous bercent. Je tiens que l'art de ce temps convie à autre chose : à ouvrir l'oeil, et regarder le siècle. C'est dur, mais juste.