A quoi bon encore l'art, quand le monde, fait d'inextricables entrelacs de sens, ne se laisse plus figurer de façon homogène ? Que reste-t-il des pouvoirs d'articulation ou de liaison que suggère le mot "art" lui-même, dont l'étymologie (artuno, arthmos, arthron, artus) parle de jointure, d'attache, de charnière ou de ligament : ce qui permet à une réalité hétéroclite de former cependant un ordre, ce sans quoi aucune composition ne pourrait triompher de la dispersion et s'organiser ?
L'art contemporain est peut-être précisément confronté à une expérience à la fois "impossible" et créatrice ; il doit répondre à l'injonction de lier et d'articuler là où les règles de ces opérations ne sont plus nulle part données. Dans ce défaut de détermination, il trouve la chance d'avoir à frayer de lui-même les voies d'une advenue du sens. Ce faisant, il nous dit quelque chose de nos existences, toujours singulières et toujours exposées.
Attentive à cette articulation de l'art et de l'existence, l'esthétique peut contribuer à dégager les enjeux éthiques et politiques que révèle la situation d'un art jeté dans les "innombrables rapports" du monde, si elle sait éviter à la fois les adhésions complaisantes à la dissémination, les recours aux facilités passéistes et les tentations de la nostalgie.