Si je pense à mon adolescence, je me souviens de coups
de téléphone anonymes et de visiteurs qui passent discrètement
dans notre maison, venus du bout du monde ou
dépêchés par les renseignements généraux. Je me souviens
d'une bombe qui explose devant notre garage ou de ma
mère qui parle souvent de «menaces de mort».
Je savais alors que mon père publiait des livres dérangeants
- pour certains serviteurs de l'État, des affairistes, ou
des intermédiaires de l'ombre. Adulte, j'appris qu'un contrat
avait été passé sur sa tête. Pourtant, trente ans après, il était
toujours là, bien vivant. Plus déroutant encore : il était
devenu ami avec celui qui avait été payé pour le supprimer.
Devenu à mon tour écrivain, il m'a semblé que cette
relation hors-norme ne pouvait échapper à une «enquête»
romanesque.
Elle me mena jusqu'en Afrique, lieu des premières investigations
de mon père, de sa rencontre avec ma mère,
et où vivait désormais son étrange ami. Dans la démesure
de ce continent des origines m'attendait le plus troublant
rendez-vous de ma vie d'homme et de romancier.
Conscient de s'aventurer sur la zone frontalière entre le
bien et le mal, mais guidé par la conviction que c'est là que
tout se joue, Jean Grégor a forcé le destin. Histoire de la
mort qui rôde mais ne frappe pas, L'ombre en soi bouscule
les représentations de la filiation et de l'amitié.