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« L’État providence étant mort, le budget d’entretien de la machine le démontre, je me dis enfin qu’on a tout à craindre, et l’institution en premier lieu, de l’apparition du concept de justice providentielle, d’une justice à qui l’on demande tout et son contraire, et de surcroît tout de suite. Pour mettre mes actes en conformité avec mes idées du moment, je déchire le projet d’assignation que j’ai rédigé ce matin. Non, c’est décidé, je n’assignerai pas, comme je l’avais envisagé, le ministre de la Justice sur la base de l’article 1382 du Code civil afin d’obtenir une conséquente indemnisation, jurisprudence à l’appui, pour la perte non pas d’une chance, mais de mes illusions. Vingt-sept ans de carrière dans la magistrature, dix ans à Paris dont neuf au terrorisme. Enfin, à l’antiterrorisme. Qu’est-ce que je fous là-dedans ? A quoi ça sert ? »
Ces quelques lignes de Magistrales Insomnies donnent le ton. Le juge Thiel, qu’on avait eu l’occasion de rencontrer dans son précédent ouvrage On ne réveille pas un juge qui dort, poursuit sa dissection de la machine judiciaire à travers l’évocation des grands dossiers qui ont fait l’actualité des derniers mois et dont il a eu pour partie la charge : les tirs croisés entre factions nationalistes corses, les règlements de compte insulaires, les assassinats de François Santoni et de Jean-Michel Rossi, l’assassinat du préfet Erignac, la traque d’Yvan Colonna, l’affaire du bagagiste de Roissy, le cas Battisti, l’affaire des paillotes, etc. Cette présentation de la justice vue du front met en perspective une institution dont les « vérités énoncées » sont révélatrices de l’état de notre société, mais ici l’analyse passe par le prisme du récit, une instruction à charge et à décharge par un esprit libre, n’appartenant à aucune chapelle, et où la réflexion se trouve stimulée par l’humour, l’ironie et la provocation.