Publié en 1852 (édition complétée en 1874), ce recueil de 24 récits et un épilogue marque une date importante dans l'évolution de la sensibilité russe. D'abord par un sentiment de la nature qui jamais encore n'avait allié tant de ferveur à tant de précision réaliste. Ensuite parce qu'il découvrait pour la première fois au public lettré un personnage qui fera désormais figure: le paysan russe, avec ses passions, ses traditions et son âme. Les récits de Tourgueniev sont présentés comme extraits des carnets d'un chasseur. En spectateur effacé, le plus souvent silencieux, il note les mœurs, laisse parler paysans et propriétaires terriens, enregistre les histoires, les disputes, les débauches, les drames. La qualité particulière des héros de Tourgueniev est d'avoir une entente naturelle avec les rythmes du monde et une résignation aux hasards de la vie qui confine au fatalisme. Il sait les montrer dans leur vie, dans leurs gestes, les laissant être eux-mêmes. Le recueil forme une véritable comédie humaine. La réussite du conteur est de faire sentir que ce monde paysan est agitée d'autant de passions et de nuances que tout autre humanité. Avec un réalisme absolu, il ne cesse jamais d'être lyrique, d'accorder sa langue souple et voluptueuse aux courants infinis qui agitent ses paysages. In fine, le vrai sujet du livre est la Nature comme expression la plus totale de l'âme paysanne. Chef-d'oeuvre de la littérature russe, ces "Mémoires d'un chasseur", qui contribuèrent à l'abolition du servage, ont valu à Tourgueniev une célébrité immédiate et durable.