Dire à demi, dire confusément, dire discordamment : telle est l'obligation particulière, dit Montaigne, qui pèse sur son projet singulier, sur son extravagant projet. Assurant le lecteur, au seuil des Essais, que son livre est "de bonne foi", ne cherche-t-il pas cependant à l'égarer, à le séduire, à le prendre "par une forme de guet-apens" comme dit l'ami Pasquier ? La vérité a, comme le mensonge, tant de visages! Il arrive que tel mensonge dise en partie le vrai, que l'omission, le déguisement, la feinte dévoilent une "vérité" que l'écrivain choisit de découvrir tout en la couvrant. Celui qui aime le jeu d'allusions propre à la poésie érotique, et qui admire le discours oblique des oracles sibyllins, celui qui avoue à l'occasion qu'on ne saurait "dire tout", celui-là sait aussi qu'il y a des paroles qui signifient plus qu'elles ne disent et d'autres qui signifient même ce qu'elles ne disent pas.