Agent soviétique ou pas ? Telle est à peu près la seule
question que se sont posée les contemporains de Pierre Cot,
et celle aussi que l'on ressasse depuis sa mort (1977), à tout
propos - en particulier quand il est question de Jean Moulin et
de la guerre. Mais outre qu'il est impossible de rien prouver
là-dessus au terme d'un examen pointilleux des archives de
l'ex-URSS, ne faut-il pas convenir que c'est un débat devenu
fort secondaire ? N'est-il pas plus intéressant de savoir ce qu'a
été précisément un «compagnon de route», de comprendre
comment un jeune bourgeois catholique, patriote et conservateur,
brillantissime juriste, en vient à professer un pacifisme
radical et un internationalisme intégral, à faire sans faillir de
l'URSS une apologie que bien des kominterniens de stricte
obédience n'auraient pas osé pousser aussi loin ; de saisir pourquoi
son antifascisme irréductible n'a pas su emprunter d'autres
voies que l'alignement sur Staline et ses successeurs, et même
de déceler pour quelles raisons il n'a pas tout simplement
adhéré au Parti communiste ? Ne vaut-il pas mieux regarder de
près comment le ministre qu'il a été à plusieurs reprises s'est
comporté (notamment en matière d'aviation civile et militaire) ?
N'est-il pas plus honnête - et de meilleure méthode historique
- d'envisager l'homme depuis son enfance et sa jeunesse jusqu'à
son grand âge, de cerner les influences - intellectuelles, morales,
affectives - qui ont agi sur lui, d'identifier quels événements
historiques l'ont marqué (la Grande Guerre en particulier), bref
de trier le bon grain de l'ivraie ?
Auteur d'une thèse unanimement louée sur le parcours
politique de Pierre Cot, Sabine Jansen retrace ici avec finesse et
rigueur l'itinéraire d'une figure déroutante de notre passé
récent ; derrière les clichês de la propagande hostile (l'Action
française parlait du «galopin sanglant») et de l'apologie béate
apparaît alors un homme, avec ses contradictions, ses points
aveugles, mais aussi avec sa grandeur et sa foi dans l'homme.