Un enfant chétif sous la coupe de nonnes sadiques, un assassin venant à confesse se confier à sa prochaine victime, un voleur littéralement aspiré par le tableau qu'il s'apprête à dérober, ou encore un tueur à gages qui n'aime rien tant que le méli-mélo de danger, de mystère, de petites filles et d'aventure... : autant d'histoires qui, plutôt que décrire des scènes ou investir des lieux, se focalisent sur des situations singulières, sur des actes répréhensibles et sur la noirceur des âmes. Les protagonistes - tous des hommes, c'est à noter - sont pris par une rage irréductible, une passion dévorante ou un extravagant fatalisme. Leur conduite est dénuée de tout aspect dramatique. Ils tuent des épouses, des ennemis, des inconnus, des fillettes buvant du lait chocolaté... pour simplement balayer une complication domestique.
Avec la virtuosité qu'on lui connaît, Jaume Cabré décline changements d'optique et ruptures de temps pour orchestrer une machinerie minutieuse qui place le lecteur dans la très délicate situation de voyeur. Impossible ici de trouver la moindre justification à l'exercice du mal, tout l'art de l'auteur consistant précisément à nous le rendre effroyablement ordinaire.