La mystique du chef a participé des pires constructions idéologiques
du XXe siècle, et la démocratie reste aujourd'hui la forme
de pouvoir qui doit s'approcher autant que possible d'un gouvernement
du peuple par lui-même.
Elle semble pourtant, dans les faits, indissociable de modes de
délégation et de représentation, et surtout d'une certaine incarnation
temporaire de l'autorité et d'un pôle de décision personnelle. Mieux,
la tendance contemporaine à la dépossession des peuples de la capacité
de décider de leur sort, au profit d'un pouvoir toujours accru des
puissances économiques, donne une actualité nouvelle aux inquiétudes
de Max Weber sur l'avènement d'une «démocratie acéphale»,
peu apte à faire valoir les intérêts des dominés. Mais dans les conditions
médiatiques de sélection des leaders politiques que nous connaissons,
peut-on penser qu'un renforcement de la démocratie passe par
l'apparition de personnalités charismatiques, capables de rompre avec
les logiques impersonnelles de la bureaucratie et des marchés ?
Ce livre entreprend ainsi d'éclairer la figure problématique - mais
peut-être nécessaire - d'un chef en démocratie. À rebours des
confusions qui veulent faire du dirigeant démocratique un Père,
un Maître ou un Savant, il se risque à imaginer une forme originale
de «charisme progressiste», que seule la démocratie serait
à même de promouvoir.