Richard III
: Dis-moi, camarade Vsevolod, pourquoi tu as fait de moi un personnage positif ? Personne n'a jamais fait de Richard III un personnage positif. Je suis quand même un assassin, un meurtrier, un être cruel et sans scrupule... Pourquoi ce regard serein et compatissant jeté sur moi ?
Meyerhold
: Parce que tu représentes le mal sans portée idéologique.
Richard III
: Vous entendez ça ? Il a tout reconnu !
L'histoire est simple ; c'est l'époque qui est compliquée.
Meyerhold a reçu l'autorisation de monter Richard III car Shakespeare n'est pas un auteur censuré dans ce pays où la révolution s'efforce de créer l'homme nouveau. Oui, mais... la Commission qui supervise l'art mis au service de la révolution trouve que certains signes théâtraux sont confus, voire dangereux, voire contre-révolutionnaires. Les comédiens cherchent trop le regard du public, certains accessoires doivent être « nettoyés » du point de vue idéologique... et surtout certains moments de silence sont suspects ! C'est donc à la démarche artistique du metteur en scène qu'on s'attaque, et aux allusions que cette démarche pourrait susciter...
Richard III n'aura pas lieu est une pièce à la fois sur la censure politique, sur la vie de Meyerhold et sur la force du théâtre qui effraie les pouvoirs totalitaires. Mais le texte pénètre aussi dans le labyrinthe de l'autocensure, cette alliéé si précieuse du pouvoir, ce champ de bataille où l'artiste se trouve en face de sa propre conscience. La liberté suprême de l'artiste réside donc sans doute dans la force de surmonter cette autocensure, de lui échapper. Car quand on monte Richard III à une époque vouée au lavage des cerveaux, on ne peut être innocent. Rien d'étonnant dès lors qu'on paie de sa vie le courage d'avoir du talent.
Cette pièce, qui se lit comme un roman, est d'une grande actualité car elle frappe fort aux portes des mémoires qui s'assoupissent et des cerveaux en train de subir d'autres formes de lavage.