Maurice Barrès, dont la prose gagnerait à être plus connue, disait dans l'un de ses délicieux ouvrages : « Il est des lieux où souffle l'Esprit ». Inscrit dans l'inconscient collectif, le Mont sainte-Odile et sa merveilleuse histoire, que des milliers des personnes découvrent avec ravissement chaque année, répondent aux critères retenus par l'écrivain. Il s'agit de l'un de ces endroits chargé d'une mémoire vive, où le souvenir des communautés religieuses qui l'investirent, dispensant la charité, marqua profondément l'humanité. Bien que sainte Odile ait quitté son monastère depuis fort longtemps, son esprit y demeure toujours. Sinon comment expliquer l'engouement du public pour cette montagne légendaire qui rayonne bien au-delà de notre province. L'une des ambitions de cet ouvrage est de vous conter les étapes d'une autre alchimie. Celle d'un brassage d'initiatives que, dans le passé, nos ancêtres choisirent comme terreau de l'histoire de ces lieux, convaincus d'être dans le vrai. Au fil des siècles jusqu'à aujourd'hui, une abondante littérature s'est efforcée de cerner les fondements du prestige de sainte Odile, allant même quelquefois à mettre en doute sa réalité. Doit-on croire sur parole le moine de l'abbaye de Saint-Gall qui écrivit le célèbre manuscrit de la Vita Odiliae ? Même composé cent cinquante années après la disparition de la sainte, il recèle des faits historiques incontestables, puisés, sans aucun doute, dans quelques textes de la plus haute valeur, aujourd'hui disparus. De quel droit suspecterait-on les innombrables copistes, religieux et autres chercheurs obstinés, confrontés à un travail d'investigation inouï, devant l'invraisemblable quantité d'écrits qu'il fallût retrouver, déchiffrer, voire traduire, à une époque où l'accès au savoir et les facilités de déplacement n'étaient pas ceux d'aujourd'hui, d'avoir manqué de rigueur dans la rédaction de leurs péroraisons ? Que l'un ou l'autre fait nourrisse un débat, quoi de plus normal, il ne peut que stimuler la quête et le souci d'objectivité. Quoi qu'il en soit, on ne tire point du néant les chroniques d'une destinée aussi exceptionnelle que celle de sainte Odile, où fourmillent tant de détails. Dans tout haut lieu où s'est incarnée l'aura d'une figure charismatique, comme sur cette montagne toujours honorée par les pèlerins, il restera à jamais une part de mystère, et c'est tant mieux. Car c'est par ce mystère et dans notre imaginaire que s'écrivent les plus belles strophes de l'histoire. Issues des mythes et des légendes confondus à la réalité, elles nourrissent et forgent les convictions d'aujourd'hui. Et même si pour certains, comme, sans aucun doute, cela le fut aussi pour nos aïeux, le monde semble à la dérive, il restera toujours des lieux propres à rompre la spirale du désarroi et, ainsi que se plaisait à le dire Barrès, favoriser les hautes idées morales.
Le Mont sainte-Odile est l'un d'entre eux, et sa magie ne demande qu'à opérer. Il suffit d'y croire.
Michel Vogt