Elle fait pff en avançant la lèvre inférieure pour décoller les cheveux qui
lui chatouillent le nez. Elle agite encore sa corde à sauter, sans conviction.
Elle essuie de temps à autre sa figure très ronde, un peu lourde, avec le dos de sa main
ou même le revers de sa robe. Et c'est à ce moment-là, celui où un pan de tissu est
levé devant son visage, que passe sur la route quelque chose de rose. Et quand c'est
passé, la petite fille n'est plus là. Sur le bord de la chaussée, il n'y a plus que la corde.
Une corde vert fluo avec des poignées en plastique.
Disparition ? Enlèvement ? L'auteur de Scènes d'amour et autres cruautés
nous enlève, nous aussi, sans complaisance, des lieux de notre quotidien.
Dans la rue, dans une salle d'attente, à table, au lit, il nous surprend
en flagrant délit d'innocence. D'absence. Le basculement s'est produit
subrepticement. Il nous entraîne dans les profondeurs plus ou moins
avouables de notre petit infini personnel et il nous laisse alors tout seuls
face à nos questions.
Nous retrouvons, dans l'écriture de Jacques Richard, le goût du dérapage,
du sens pluriel et détourné. L'acuité de l'observation, la puissance d'évocation
ouvrent sur une vision du monde dont l'humour parfois corrosif n'oblitère
jamais la tendresse pour ses semblables.