C'est Boris Vian qui semble avoir inventé l'usage argotique
du mot tube, pour désigner une chanson à succès. C'est-à-dire,
le plus souvent, une chanson quelconque, qui ressemble à
toutes les autres et qui chante volontiers sa banalité même.
Or, ces mélodies, ces airs comme ça nous hantent, prolifèrent
en nous comme des vers d'oreille. Jusqu'à devenir parfois
la bande-son de notre vie, commémorant tel moment passé, tel
vécu singulier.
Comment penser cette conjonction paradoxale, propre sans
doute aux tubes, entre le plus banal et le plus singulier ? Comment
le cliché musical qui circule jusqu'à l'usure peut-il être
porteur de l'unique, d'un affect à nul autre pareil ?
À ces questions, ce sont d'une part les tubes eux-mêmes qui
répondent, si on sait leur prêter l'oreille : les histoires que racontent
nombre d'entre eux (Je suis venu te dire que je m'en
vais ou Parole, parole, parole, parmi tant d'autres qui habitent
ces pages) parlent indirectement de leur propre pouvoir, des
obsessions qu'ils suscitent.
Mais, d'autre part, les tubes demandent aussi à être pensés, à
être élevés à la dignité d'objets philosophiques. Aussi est-ce en
lisant Kierkegaard, Kant, Marx, Freud ou Benjamin que l'on
tente ici d'interpréter leurs rapports avec l'argent, ainsi que
l'épreuve de la reprise dont ils nous font faire l'expérience.
Enfin, pour les voir à l'oeuvre dans leur manière unique
d'articuler la psyché et le marché, il fallait se rendre au cinéma.
De Fritz Lang à Alain Resnais, en passant par l'incontournable
Hitchcock, les tubes apparaissent comme cette production
inouïe du capitalisme avancé : un hymne intime à
l'échange.
P. Sz.