Tome six des treize volumes du voyage de Humboldt et Bonpland.
Nous passâmes la nuit, à gué, le Rio Uritucu, qui est rempli d’une race de crocodiles très remarquables par leur férocité. On nous conseilla d’empêcher nos chiens d’aller boire à la rivière car il arrive assez souvent que les crocodiles d’Uritucu sortent de l’eau et poursuivent les chiens jusque sur la plage. Cette intrépidité est d’autant plus frappante qu’à 6 lieues de là les crocodiles du Rio Tisnao sont assez timides et peu dangereux. Les mœurs des animaux varient, dans la même espèce, selon des circonstances locales difficiles à approfondir. On nous montra une cabane ou plutôt une espèce de hangar, dans lequel notre hôte de Calabozo, don Miguel Cousin, avait été témoin de la scène la plus extraordinaire. Couché avec un de ses amis sur un banc couvert de cuir, don Miguel est éveillé de grand matin par de violentes secousses et par un bruit épouvantable. Des mottes de terre sont lancées au milieu de la cabane. Bientôt un jeune crocodile de deux à trois pieds de long sort au-dessous du lit, se jette sur un chien qui couchait sur le seuil de la porte, le manque dans l’impétuosité de son élan et se sauve vers la plage pour y gagner la rivière.