La poésie de Cocteau est le résultat d’une apparition, mieux, d’une annonciation où la parole coïncide avec une insémination phénoménologique. L’ange de cette annonciation est issu d’un univers parallèle, d’un au-delà de la conscience, des sens, du temps et de l’espace. Le poète est tantôt le provocateur, tantôt la victime, d’une sorte de transgression des limites sensorielles. Imaginaire de la perception psychique et cosmique : une invisible lutte avec la menace ou la tentation de sa visibilité possible, un ange s’égare hors de l’imperceptible, hors de l’inconscient. Cocteau configure à l’aide d’images empruntées à la science la répartition entre les mondes humains et angéliques et les variations de leur accessibilité réciproque. Il s’inspire dans le désordre des recherches sur la lumière, la relativité, la quatrième dimension, les ultrasons, la Chronophotographie, l’atome... L’ange est le paradigme d’un phénomène happé ou séduit par un dispositif, rendu perceptible par machine. Mais il s’invente un visage de monstruosité, de « montrabilité », opération qui seule le fait exister dans le mensonge, le langage, le manque. L’ange tel qu’il apparaît dans la scène de l’annonciation est amputé de toute sa folle richesse. La rencontre qui se voudrait amoureuse avec le poète est donc toujours insatisfaisante. L’homme ne peut que castrer cette merveille érotique à la mesure fatale de ses organes, de sa logique. Le poète est alors amené à ériger, sans joie, la matérialité de sa propre écriture en fétiche : objet artificiel mais sans défaillance.