Enlever ma surface. Prière de ne pas inciser. Eviter les scalpels. Brutalement
car elle m'étouffe. M'écrase. Accéder à mes embranchements,
à mes égarements, à mon indicible. Accéder à cette plaque
brûlante, sauvage et vaste, qui est insérée en moi, qui glisse le long
de ma cervelle, de ma colonne vertébrale, de mes tripes. Toucher et
palper. Puis, avoir recours à la plume et tenter de transcrire. Tout en
sachant que ce geste est dérisoire. Le silence seul est l'exutoire légitime.
La parole est ambiguë, minée, trompeuse. Elle est porteuse
d'autres paroles, qui fermentent et déjouent sa singularité. Sa faculté
à l'exorcisme est contrainte. Mais persister, sonder encore, plonger
encore en soi et parfois ces mots qui s'enfilent et défilent, courtois et
violents, brusques et doux, l'intuition d'y arriver enfin, d'avoir comblé
l'espace qui me sépare et m'écartèle. Parfois, même l'exultation,
se croire un presque démiurge car je courbe et j'insurge la parole.
Envolée narcissique qui se délabre après une relecture. Mais épier
toujours ces embellies car je ne suis plus cet être qui vit, qui gît, qui
pense, qui se démène, je suis matière, matière qui compose l'encre,
matière qui se disperse et se fige. Je ne m'appartiens plus. Je suis possédé
et réconcilié.
Mon plus beau poème sera, même si je ne vais jamais l'écrire, une
page désemplie, sans mots, ni traces, d'une blancheur éclatante.
Il sera silence.