Le Corbusier, qui symbolise l'architecture moderne au même titre
que Picasso la peinture, fut aussi «plus secrètement poète»,
comme le déclara André Malraux. En témoignent les récits et
impressions de voyages, le plus souvent ponctués de croquis,
rassemblés ici par Philippe Duboÿ. Parus dans différents
journaux et revues de 1911 à 1947, ils n'avaient jamais été
republiés tels quels. On y suit Le Corbusier dans ses «voyages
de jeunesse» - itinéraire classique qui passe par l'Italie, la Grèce,
l'Orient -, puis partout en Europe et lors de ses «voyages
intercontinentaux», en Amérique du Sud, à New York.
Parcourant le monde à la recherche d'une identité et d'une
culture d'architecte, il empruntera à la Grèce l'idéal d'une
architecture qui englobe le site tout entier, tandis que Rome le
convaincra de la grandeur d'oeuvres utilitaires telles que
barrages, usines ou ponts. Sensible à la «sécurité spirituelle
merveilleuse» qu'assure aux Occidentaux leur tradition, Le
Corbusier reste curieux de tout, prompt à «quitter les pantoufles
et encourir l'aventure», l'esprit ouvert. Au contact d'autres
civilisations, son «Occident s'effrite, écrit-il, se débarrasse de
ses étroitesses gênantes, de ses poussières d'épiderme mort.
L'essentiel surgit décanté : l'homme, la nature, le destin».
C'est à travers le croquis que la décantation se fait. Comme si
la plume, instrument de «l'âme qui ressent», disait d'abord
«avec des mots sincères le Beau rencontré» - d'où le style
passionné, lyrique, riche en envolées poétiques et formules
chocs. Puis, à la plume succède le crayon, instrument de
«l'esprit qui mesure», épure, dégage les lignes fortes. Ainsi
Le Corbusier formule-t-il et donne-t-il à voir à chaque page
la démarche du poète-architecte voyageur qu'il fut, dans un
dialogue fécond entre le mot et le trait.