On ne fait pas du théâtre en toute innocence. Toute esthétique théâtrale
est au carrefour d'enjeux métaphysiques, anthropologiques, éthiques,
politiques, et on ne fait pas venir des spectateurs dans une salle ni monter
des acteurs sur une scène, sans s'appuyer, qu'on le veuille ou non, sur
une certaine conception de la nature de l'homme, des rapports des
hommes entre eux et au monde. Au début du XXe siècle, le philosophe et
sociologue allemand Georg Simmel (1858-1918) a cherché à reformuler
la problématique propre à l'art du comédien, qu'il considérait comme
celui qui soulève les problèmes les plus difficiles. Cette problématisation
originale confère à la thématique du théâtre une réelle importance dans
son oeuvre. À la relire à travers ce prisme, il apparaît que la «figure du
comédien» se trouve à l'entrecroisement des principaux thèmes de sa
pensée : sa réflexion philosophique sur l'art de l'acteur mobilise l'ensemble
des outils conceptuels qu'il élabore par ailleurs, et cette problématique
est au centre aussi bien de sa sociologie théorique que de ses importantes
analyses de la modernité. Ainsi cet essai aimerait-il à la fois proposer une
introduction à la pensée de Simmel et une réflexion plus générale sur l'art
du comédien, en resituant notamment les positions de Simmel par rapport
à celles de Stanislavski et de Brecht.