Ma langue maternelle, - la sève qui nourrit ma parole,
qui abonde dans les couloirs de mon inconscient, qui retrace
les souvenirs de l'enfance, qui a irrigué mes premiers pas, qui
épousera mon dernier souffle, - est le créole, mais ma langue
d'écriture est le français.
Je n'écris pas en français car elle est matière que j'observe,
que je guette, matière fugitive qui obéit au désordre, semblable
à un animal féroce qui arpente les arènes du lointain,
adepte de jeux cruels et qui me lance un défi, renouvelé et perpétuel,
matière qui fustige les altérations et refuse le devenir
de nos conjugaisons.
Et il me faut donc entamer la traversée vers la langue, traversée
sur un fleuve cerné par le doute et la peur, virgule ivre sur
les flots sombres, alors atteindre la langue, l'accaparer, l'assagir,
déchirer ses apparats, dénuder son histoire, éclairer ses
instances primitives et ses vulgaires naissances, dénouer ses
arcanes, la liquéfier, la ramener à son essence, évider les
masques.