Le film
Carmelo Bene n'était pas un écrivain, pas un cinéaste. Il ne reconnaissait à sa vie qu'un seul centre, un seul principe ordonnateur : le don entier, permanent et irrévocable de sa personne au théâtre. Écrire, filmer, pour lui, ce fut donc toujours faire passer quelque chose de l'ordre du corps - la seule réalité dont nous puissions être raisonnablement certains, y compris dans ses insuffisances. Pourtant, ni la littérature, ni le cinéma ne sont sortis intacts de cette prodigieuse machine actorale.
Notre-Dame des Turcs, son premier et plus beau film, est la confession de cet enfant du siècle ; mais l'autobiographie et son objet, le Moi, sont ici malmenés, jusqu'au point où on peut à peine reconnaître un sujet. Quant au cinéma, il est violenté, poussé aux bords d'une poésie brûlante, tandis qu'une froide ironie laisse le cinéaste infiniment maître des débordements de la forme.
On a voulu ici restituer de l'intérieur le mouvement débridé de cette oeuvre sans pareille - sans juger, mais en tâchant au mieux de comprendre les gestes, les allures, les affects qui composent cette furie poétique. Bene, qui ne tenait pas le cinéma en bien haute estime, lui a néanmoins offert un film, où ce sont les plus filmiques de ses puissances - le mouvement, la couleur, la matière de l'image - qui font démonstration de son inventivité formelle.